Parlez-nous un peu de vous Franck Labat...
D’où vous est venue cette passion
pour l’écriture ? J’ai toujours été un grand lecteur, et ce depuis tout petit. Ma fringale "d’histoires" s’est vite mutée en une imagination exacerbée. Ado je me montais mes films, des scènes complètes qui se jouaient dans ma tête, et pourtant… je n’ai jamais eu l’idée de poser tout cela par écrit à l’époque. Pas de soif d’écrire ni de besoin irrépressible de coucher mon imaginaire sur le papier. Ça restait avec moi, j’avais ma petite bulle et cela me suffisait. Et puis, en hiver 1989, lors d’un voyage en Israël, j’ai eu un déclic. Un de ces instants dans la vie qui reste avec vous et vous fait choisir un chemin plutôt qu’un autre. Quelques minutes très précises et vives dans ma mémoire. Je me baladais aux abords d’un kibboutz, longeant les barbelés de la zone tampon avec le Liban. Mon walkman embraya par hasard sur la chanson "La frontière" de Bernard Lavilliers. On ne peut pas lutter contre des moments pareils. Le soir tombait et je me suis imaginé une énième histoire, celle de ce lopin de terre avant qu’il ne soit segmenté en zones et découpé au fil de fer. Pourquoi cette histoire m’est-elle alors venue avec des mots plutôt que des images ? Je ne saurais pas le dire, peut-être l’étrange réalisme des paroles de la chanson avec la situation ? Mais j’ai soudain réalisé que c’était important, suffisamment pour pérenniser l'histoire avec des mots au lieu de laisser ce récit filer de mon esprit pour être remplacé par d’autres. Dès les vacances suivantes, je filais sillonner l’Europe avec un calepin et un crayon dans ma besace. Ce fut le début, et à ce jour, ce type de calepin n’a plus jamais quitté ma poche. Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré(e) ? Henri Vernes, pour son héros Bob Morane et cet univers dans lequel j’ai baigné pendant des années. Grâce à lui et sa large palette de genres, j’ai découvert le polar, l’aventure la SF et le fantastique. Agatha Christie et Conan Doyle, qui m’ont initié au mystère et à la gestion du suspense. Jules Verne et Philip K. Dick, pour leurs univers et leur imaginaire incroyable. Bernard Werber, pour sa philosophie (et aussi pour son style dans certains opus, longue histoire... mais je lui dois un gros merci pour m’avoir, sans le savoir, réconforté à une époque où le doute me rongeait.) Jonathan Stroud et Stephenie Meyer, pour leurs styles. Parmi tous vos romans, de quels personnages êtes-vous le plus proche ? Pourquoi ? Pendant des années je me suis distancié de mes personnages, je ne voulais rien laisser transparaître de ma personne au travers de mes écrits. (Oui, c’est très utopique, on laisse toujours quelque chose transpirer, mais j’étais naïf et timide.) Physiquement et professionnellement, le personnage dont je suis le plus proche est Jérémy Baltac dans Forfait illimité (http://www.francklabat.com/bibliographie/parutions/forfait-illimite/) . Une ressemblance voulue et pleinement assumée puisqu’il m’était facile de projeter les apparences tout en gardant ma vraie personnalité à l’abri. À l’époque j’avais décidé, comme un clin d’œil, de me mettre en scène dans le récit suite à un projet précédent mais inachevé qui commençait de manière quasi autobiographique. Au final, si Jérémy est mon reflet dans le miroir, c’est en fait dans le personnage de son ami (Doc) que je me retrouvais le plus. « Retrouvais » au passé, car depuis Forfait illimité*, il est un autre personnage dont je suis définitivement plus proche : Psychologiquement et humainement, le personnage dont je suis le plus proche est Claire Tremblay dans L’Envol (http://www.francklabat.com/projets/lenvol/). Pas seulement parce qu’il s’agit de mon dernier projet (que vous ne pouvez d’ailleurs pas encore lire puisque je fais une dernière relecture avant de l’envoyer à mon éditeur), et qu’on se sent toujours un peu plus proche du dernier né, mais parce qu’elle et moi partageons la même introversion, les mêmes passions pour les sciences et les technologies et une philosophie très proche. Claire, c’est la projection de mon côté féminin intérieur. Comment vous sentez-vous à l’approche de la sortie d’un de vos livres ? Excité, curieux et… épuisé ! Après de longs mois de structurations, de recherches, d’écriture, de relecture, de corrections, et de corrections et de corrections… L’envoi à l’éditeur arrive comme un soulagement. Pour moi, c’est le repos du guerrier. Je me gave de ciné, de bouquins et de séries. Alors quand le premier retour de l’éditeur arrive, sous la forme de la première version du B.A.T. (le « Bon À Tirer », épreuve du roman avant impression), c’est un peu comme un couperet. Les délais sont courts, il faut relire, traquer les dernières coquilles et aller et venir avec le correcteur sur un rythme effréné. J’ai toujours l’impression de faire un sprint juste à la fin d’un marathon. J’y donne mes dernières forces, si bien que le jour J de la sortie, je suis en général vidé et toujours en train de récupérer. J’ai beau savoir que le jour de la sortie n’a rien de magique, qu’il n’y aura pas des groupies qui auront passé la nuit dehors en attendant l’ouverture de leur magasin (je suis auteur, pas fabricant de téléphones mobiles), je ne peux pas m’empêcher d’être excité comme une puce. Je netrouve la paix qu’après avoir vu de mes propres yeux le bouquin sur l’étal d’une quelconque librairie. Là, je sais que c’est vrai, qu’il existe, que je n’ai pas juste fantasmé pendant des mois, et que désormais, il ne m’appartient plus. Je coupe alors le cordon ombilical et le laisse vivre sa vie. Comment réagissez-vous face aux critiques négatives ? J’ai une bouffée de chaleur et des picotements au niveau du cuir chevelu, suivi immédiatement par une sueur froide au niveau du cou et du dos. Je finis la lecture de la critique jusqu’au bout, mais je ne réagis jamais à chaud. En premier lieu, je relativise le contexte de la critique en question. Est-ce un lecteur habitué au genre ? (si la personne pensait lire un roman sentimental et se retrouve avec un thriller d’anticipation dystopique entre les mains… je peux comprendre la déception.) Est-ce une attaque personnelle ? (/ignore.) Est-ce une incompréhension ? (Là c’est dur, parce que soit j’ai loupé mon coup en tant qu’auteur, et les autres critiques seront immanquablement du même acabit, soit le problème est du côté du lecteur et je ne veux pas le blesser en me lançant dans une démonstration grossière de son erreur.) Enfin, si la critique est objective et argumentée, je la prends très au sérieux. Si quelqu’un a fait l’effort de lire jusqu’au bout un livre qu’il n’a pas apprécié et en plus de se fendre de donner son avis… alors il y a forcément quelque chose de constructif à en ressortir. (C’est comme ça que j’ai appris à redresser certains tics d’écriture, à ajouter de l’épaisseur à mes personnages, et à ne pas négliger le côté sentimental, même dans un récit à suspense.) |
Avec quel(s) auteur(s) aimeriez-vous travailler ?
Hum… écriture à quatre mains ? Solitaire comme je suis, j’en doute. Mais croiser des récits, des idées, des personnages… oui, je le ferais volontiers avec Bernard Werber (entre l’idéosphère et le style, on a pas mal à discuter), Franck Thilliez (que je viens seulement de découvrir, mais nous avons bien plus que notre prénom en commun), Roxane Dambre (Animae et Naturalis ?sérieusement, s’il n’y a pas un cross-over là-dedans, je mange mon chapeau) ou Thomas Spok (je suis absolument jaloux de son don pour le médiéval). Cela a-t-il été compliqué de faire publier votre premier manuscrit et comment cela s’est-il passé ? Compliqué ? En soi non, ce ne fut "pas compliqué", il a juste fallu que je gagne un concours. Mais c’est le résultat d’années de persévérance. Mon premier roman édité est "Naturalis", qui a remporté le Prix du Jury Femme Actuelle 2013. Un concours littéraire justement réservé aux primo-romanciers avec comme récompense, l’édition du manuscrit en mode "best seller" dans toute la France. Mais si "Naturalis" est mon premier roman édité, c’est tout de même le huitième que j’ai écrit (je ne compte pas les nouvelles et les scripts…). Le processus fut simple : soumission du manuscrit, et attente des résultats parmi les 550 manuscrits reçus. Ensuite… C’est un peu le chemin idéal, puisque j’ai été entièrement pris en charge par les rouages de la maison d’édition. Correcteur, B.A.T., conception de couverture, exemplaires de service de presse, attaché de presse, agent artistique : le grand jeu. (J’espère ne pas avoir pris trop de mauvaises habitudes afin de m’en sortir pour le suivant. J’ai toujours l’impression qu’à minuit le carrosse va se retransformer en citrouille). Avant de publier un livre, le faites-vous lire à des personnes de votre entourage ? Certaines personnes de mon entourage font partie de mon lot de bêta-lecteurs, oui, mais pas seulement. Je cherche aussi des retours de personnes qui me sont moins proches, avec un regard moins biaisé. Derrière ma quiétude et mon apparente maîtrise, je traverse toujours une énorme période de doute à la fin de la rédaction (ai-je été trop loin ? N’est-ce point trop confus ? Trop technique ? Le style est-il assez abordable ?...) J’ai besoin de me rassurer en écoutant ce que d’autres en pensent, valider mon travail avant de le soumettre aux éditeurs. Quels sont vos projets ? "Forfait illimité*", qui n’est pour le moment disponible que chez France Loisir, va sortir de son exclusivité et être disponible partout d’ici la fin de l’année. Je viens de finir "L’Envol", je récolte actuellement les dernières fiches de mes lecteurs, une ultime relecture/réécriture, et il part en prospection. Et enfin, trois récits se battent en ce moment dans mon esprit. Vous dire si vous aurez droit à une fresque historique sous l’angle des mystérieux "gardiens", l’éveil d’un clan druidique séculaire, ou si vous retrouverez les Naturalis… ça je ne peux pas encore vous répondre ! Je vais devoir bientôt trancher et commencer à travailler sur mon opus 2014. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore votre univers, que leur diriez-vous afin de les inciter à le découvrir ? Sur la forme, j’écris mes romans comme des thrillers, même s’il n’y a pas forcément (jamais ?) de tueur en série face à face avec un agent du FBI. J’aime jouer avec le suspense, l’action et les nerfs des lecteurs. J’ai gardé un style très visuel de mes longues années à imaginer les diverses scènes de mes fantasmes, ce qui résulte en une écriture très cinématographique (j’ai un très fort penchant pour la structuration et l’écriture scénaristique). Longtemps nouvelliste, j’ai une longue habitude de conclure sur des fins surprenantes. Habitude que je semble avoir transportée dans mes romans (PLUS ou moins consciemment). Sur le fond, je construis mes intrigues basées sur ma veille scientifique et technique afin de les ancrer dans notre réalité. Ensuite je teinte le tout d’une pointe de SFFF plus ou moins forte selon le sujet, ce qui me permet d’explorer les thèmes dans leurs retranchements les plus obscurs. J’ai beau vouloir me concentrer uniquement sur le divertissement, mes personnages me rattrapent toujours et me forcent à rajouter une composante sociétale (je vous jure, c’est pas moi, je suis pas militant, c’est eux… Ils me forcent). Comme en général ils ont des vues plutôt intéressantes, je les laisse faire dans la mesure où cela ne va pas à l’encontre du récit. J’aime être en équilibre sur une ligne ténue entre réalité et imaginaire, sérieux et divertissement, certitude et questionnement. Le pire pour moi serait de laisser un lecteur indifférent, le mieux étant qu’il sorte de sa lecture en ayant pris du plaisir tout en ayant appris quelque chose et/ou avoir provoqué chez lui - ne serait-ce que l’espace d’un moment - une interrogation sur ce qui l’entoure. |
Date de l'interview : Octobre 2013 © Des encres sur le papier