Parlez-nous un peu de vous Serge Scotto...
D’où vous est venue cette passion
pour l’écriture ? Je suis avant tout un raconteur d'histoires, je crois, j'en ai toujours une en tête, que je me raconte à moi-même... Je rendais visite l'autre jour à ma vieille mère à la maison de retraite, qui m'en a sorti une bonne que j'ignorais ; elle m'a dit que lorsque nous étions petits, au moment de nous coucher, elle faisait un petit tour dans nos chambres avant d'éteindre la lumière : mon frère pour s'endormir lui demandait « maman, raconte-moi une histoire », mais moi je lui disais parait-il « maman, je vais te raconter une histoire » ! Voilà, c'est tout... J'inventais toute la journée des histoires invraisemblables, alors on disait que j’étais menteur ou que je faisais mon « intéressant », ce qu'il fallait prendre comme autant de reproches, un peu comme si mes parents auraient préféré avoir un enfant muet. Dès que j'ai su écrire convenablement, vers 7 ou 8 ans, j'ai commencé à écrire tranquillement dans des cahiers d'écolier de courts romans, que j'illustrais moi-même, sur le modèle du Club des Cinq, d'Enid Blython, dont j'étais très fan : j'y mettais en scène, de façon aventureuse, nos vacances avec mes cousins... Tout fier je les ai montrés à mon instit, mais il a fait « Pfff... » Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré(e) ? Peut-être Vian, Kafka, San Antonio, Voltaire, Rabelais, Stendhal, toutes ces lectures adultes parmi les premières qui m'aient un peu marqué... pour une raison ou une autre. Notre goût se forme jeune, je ne parlerais pas d'inspiration mais plutôt de sensibilisation. Parmi tous vos romans, de quels personnages êtes-vous le plus proche ? Pourquoi ? Certainement Herbert Turaive, Prix Goncourt et tueur à gages : j'ai écrit une trilogie de ses enquêtes (Gagnant à vie, Au temps pour moi, NDLR) la troisième restant à paraître, que je crois spirituelles, et dans laquelle j'ironise aussi pas mal sur le monde de la littérature et du livre, ce que tout le monde m'a toujours déconseillé de faire comme si j'avais quelque chose à craindre pour ma carrière... Bah, on m'avait déconseillé déjà de présenter mon chien Saucisse aux élections, de m'en prendre à Sainte Ingrid Bétancourt dans une BD (Ingrid de la jungle, éditions Fluide Glacial NDLR), de faire Secret Story, de critiquer Martine Laval la critique de Télérama, etc. Les auteurs sont en général d'une frilosité... accablante. Je croyais en entrant en littérature ne croiser plus que de grands esprits, libres et ouverts, je n'ai souvent frayé qu'avec des veuleries de serviteur et des pleutreries de marchands de saucissons. Quant à ma carrière... ? Mon petit succès, si succès il y a, n'est à y bien regarder qu'une accumulation d'insuccès, et le petit engouement de certains pour ma prose certainement un malentendu... Comment vous sentez-vous à l’approche de la sortie d’un de vos livres ? A peu de chose près, je m'en fiche... A vrai dire mes livres m’intéressent au moment où je les écris, je n'ai jamais eu la sensation qu'ils m'appartiennent encore une fois partis à la rencontre des lecteurs. Je me fous complètement de savoir ce qu'on pense de mes livres, il me suffit de savoir moi ce que j'en pense... et en général je pense plutôt au suivant. Mais j'apprécie qu'on les apprécie intelligemment, je me sens moins seul et moins fou de les avoir écrits. Comment réagissez-vous face aux critiques négatives ? Une dame était venu dire à Picasso qu'elle n'aimait pas du tout ce qu'il faisait. Il lui avait répondu très poliment « Mais madame, ça n'a aucune importance ! » Et paradoxalement, la dame avait paru fort satisfaite de cette réponse, qu'elle avait vraisemblablement comprise à son avantage. Je ne suis pas assez connu ni germanopratin pour avoir de bonnes critiques, de toute façon : sauf exception, les critiques ne s’intéressent à moi que lorsqu'ils croient y trouver l'occasion d'une mauvaise critique ; témoignent-ils alors de ce qu'ils ont lu, ou les gens qui te lisent de travers témoignent-ils en réalité davantage de leurs propres travers ? C'est la limite des critiques, elles sont rarement dictées par la générosité d'esprit et la légèreté qui devraient gouverner à la lecture, mais le plus souvent par l’intérêt direct ou réciproque : à son niveau professionnel, la critique est un pur exercice de pouvoir et un simple effet de l'entregent. Quant aux critiques des lecteurs, des blogs, elles leur appartiennent également : l'écriture est un don total, sans négociation, sans arrangement ! En écrivant, tu acceptes le principe de te livrer entre toutes les mains, tu deviens un objet public, pour le meilleur et pour le pire, tu ne vas pas demander à tes lecteurs pour qui ils votent ou de passer un test de Q.I... Mais tu n'as en revanche pas non plus de comptes à rendre ni à te justifier de déplaire... A l'usage de mes lecteurs, je dirais que je satisfais apparemment les plus dessalés et que j'indigne facilement les autres ! Je me souviens d'une dame très bien, blindée de sonnaille dorée, venue me voir dans un salon pour me jeter à la face qu'elle avait dû brûler mon ignoble Massacre à l'espadrille : grand bien lui fasse, je lui avais aussitôt demandé s'il avait bien brûlé, car aujourd'hui, on ne sait plus trop de quoi est fait le papier... Elle s'était alors encore choquée que je me foute de son avis comme de l'an 40, mais mon avis est en vérité qu'elle avait dû surtout en le brûlant vouloir exorciser le malin plaisir qu'elle avait pris à cette malsaine lecture, car elle s'était tout de même vantée de l'avoir lu jusqu'au bout, « pour savoir jusqu'où j'oserais aller », ben tiens !... |
Avec quel(s) auteur(s) aimeriez-vous travailler ?
Je co-scénarise de nombreuses BD avec Eric Stoffel, parce que nous n'avons pas d'ego dans le travail, ce qui est la qualité sine qua nun pour écrire à deux : en ce moment on adapte toute l’œuvre de Marcel Pagnol, pour qui j'ai la plus grande admiration, en BD, on a du boulot devant nous pour dix ans... Ça va sortir chez un très gros éditeur, à partir de fin 2015. On a co-écrit ensemble aussi un excellent petit roman jeunesse, Le pinceau de Picasso, qui a été finalement publié chez Verger des Hespérides, merci à eux, heureusement qu'il existe encore un peu cette bio-diversité du livre et quelques petits éditeurs indépendants, c'est souvent chez eux que se passent les choses les plus intéressantes... mais hélas, les libraires n'aident pas (et ne s'aident pas) beaucoup non plus. Cette expérience nous a appris cependant que la plupart des gros éditeurs jeunesse prennent aujourd'hui les enfants pour des cons, des attardés, quasi-mongoliens, ces mêmes éditeurs s'étant persuadés que pour des raisons commerciales il vaut mieux leur faire lire des histoires bêtes, écrites avec des phrases sur mesure de moins de dix mots, sans vocabulaire ni conjugaison compliqués, en bref tout un cahier des charges qu'on nous a gentiment expliqué, visant à niveler vers le bas : alors jusqu'à nouvel ordre... la littérature jeunesse, ce sera finalement sans moi ! J'ai trop de respect pour l'enfance, je n'oublie jamais que j'en viens... et moi, à sept ans, je lisais Le petit Chose, Poil de Carotte, Capitaine Fracasse, etc. Tu savais qu'ils rééditent justement les Club des Cinq version mongolos, totalement réécrits à la merde et politiquement correctisés... ? C'est désespérant et totalement décourageant, comme vision de la littérature et de son rôle auprès de la jeunesse. Cela a-t-il été compliqué de faire publier votre premier manuscrit et comment cela s’est-il passé ? Par accident... J'écrivais dans des cahiers, à la terrasse des cafés... Je venais d'échouer dans la musique, puis dans la peinture, je me mettais à l'écriture... Est passé un vague pote, que j'avais connu comme critique rock à l'époque où j'en faisais... J'ai vite refermé mon cahier, replié sous mon coude, j'aurais eu trop honte de me faire choper, style « le mec qui fait l'écrivain à la terrasse des cafés »... Qu'est-ce que tu deviens ? il m'a dit. Rien, j'ai répondu, et toi ? Rien, qu'il a dit... Il allait repartir, il a vu le cahier : t 'écris ? il a ajouté. Ouais, j'ai dit... Cool, il a dit, je monte une maison d'édition avec des potes, t'as qu'à me faire passer ton manuscrit. C'est ce que j'ai fait, je lui en ai fait passer deux, Le crapaud qui fume et Le soudard éberlué, qui ont été parmi les premiers publiés par L’Écailler, leur maison d'édition, qui a honorablement tenu 15 ans et sans un sou d'argent public, ce qui est déjà un bel exploit. L’Écailler a été mon premier éditeur, j'en ai eu depuis une dizaine d'autres, je pense, dans tous les genres... Avant de publier un livre, le faites-vous lire à des personnes de votre entourage ? Absolument pas ! Quels sont vos projets ? Avec la crise, et la crise du livre, je suis passé de la seconde division de la littérature à la division d'honneur... Je deviens donc un écrivain culte : je n'écris plus, j'en ai de toute façon quatre ou cinq d'avance, je ne démarche plus non plus, ça m'a gonflé... Si les lecteurs veulent me lire, y a de quoi, et si les éditeurs veulent m'éditer, eh bien il y a des inédits, ou bien ils peuvent rééditer mes classiques en poche. Pour l'instant, je bascule dans la BD, qui est un secteur du livre plus sérieux et plus professionnel, parce qu'en BD l'imposture est impossible... Donc, si t'es un bon raconteur d'histoires, tu rentres direct en première division, on te considère et on te paye convenablement et tu fais des tirages dignes : trois paramètres inimaginables en littérature... Sinon, j'ai longtemps fait aussi l'éditorialiste, mais je me suis fait licencier par La Provence au 31 octobre dernier : ceci dit parce que vous pouvez retrouver pas mal de mes tribunes d'actu sur le site de mes amis d'AuBarFly.com. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore votre univers, que leur diriez-vous afin de les inciter à le découvrir ? Je leur dirais de ne pas le faire... Car les gens qui m’intéressent sont plutôt ceux qui font le contraire de ce qu'on leur dit. Site AuBarFly : http://www.aubarfly.com/ Vidéo de présentation https://www.youtube.com/watch?v=O2R7dDlRjhg |
Date de l'interview : Novembre 2014 © Des encres sur le papier